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De la recherche au conseil en stratégie : Jean-Baptiste Vilain

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Dans cette série de portraits, découvrez le parcours de docteurs en économie qui ont fait le pari du conseil pour avoir un impact plus grand. Passés de la recherche à la pratique, ils reviennent sur leurs trajectoires professionnelles et les choix qui les ont menés du laboratoire à l’accompagnement stratégique des COMEX.
Jean-Baptiste Vilain VeltysQuel est ton parcours académique ?
J’étais lycéen à Amiens, je suis allé à Sciences Po Paris après le Bac en 2008. J’y ai fait des sciences sociales : droit, économie, science politique, sociologie, mais aussi des maths. J’ai eu un gros coup de cœur pour l’économie dès le premier semestre. En troisième année, je suis parti un an en échange à l’École d’Économie de Prague et à mon retour, j’ai fait un an de Master en économie internationale. Cela me plaisait mais je trouvais ça trop léger sur les dimensions techniques. J’ai donc bifurqué vers un Master en économie quantitative avec de la microéconomie, de la macroéconomie et de l’économétrie. C’était un double diplôme entre Sciences Po et l’École Polytechnique. C’était beaucoup plus quantitatif, avec une promotion composée d’étudiants issus des deux écoles.
 
Pourquoi t’es-tu orienté vers la recherche ?
En Master, je pensais m’orienter vers une carrière académique ou dans l’évaluation des politiques publiques. Poursuivre en thèse était donc la voie naturelle pour moi. Avoir le temps de me pencher sur des questions que j’avais choisies, avec une grande liberté, m’attirait beaucoup.
En avril 2013, quand j’étais en Master 1, j’ai fait un stage de recherche chez Veltys. Ce stage m’a beaucoup plu et Philippe Février, le CEO, m’a proposé de rester chez Veltys comme consultant. J’ai décliné parce que je voulais faire de la recherche. Philippe m’a alors proposé un contrat CIFRE : une thèse réalisée en partenariat avec une entreprise. L’idée m’a plu et j’ai démarré mon contrat CIFRE en septembre 2013. Cela me permettait de combiner le côté conseil et le côté recherche avec 3 jours par semaine chez Veltys et 2 jours par semaine au département d’économie de Sciences Po.
 
Sur quels travaux portait ta thèse ?
En économie, une thèse comprend en général 3 papiers de recherche distincts. J’aimais bien faire parler les données donc j’ai fait principalement de l’économie empirique. Et j’ai fait chacun de mes papiers avec un coauteur différent.1
Mon 1er papier est celui sur lequel j’ai passé le plus de temps. L’objectif était de développer une méthode d’estimation pour évaluer le niveau sportif des joueurs de football. Une approche classique consiste à regarder les faits de jeux, les passes, les tirs et à en dériver le niveau du joueur (plus le joueur réalise d’actions impactantes, plus son score est élevé). Mais cette approche nécessite des données extrêmement fines que je n’avais pas. J’ai donc retenu une autre approche : étudier les scores en fonction des compositions d’équipes sur une dizaine de saisons. La variabilité des compositions d’équipes (avec les transferts, les blessures et les changements au cours des matchs) permet en effet d’identifier l’impact individuel des joueurs sur le résultat collectif. L’intuition est simple : si l’équipe est performante à chaque fois que le joueur est sur le terrain, c’est que ce joueur doit être très bon.
 
Mon 2ème papier a été probablement le meilleur de ma thèse. L’objectif était de déterminer si un individu a des incitations plus fortes quand il se retrouve dans une équipe que quand il est seul. Un individu augmente-t-il son niveau d’effort si le succès collectif dépend de lui ? Nous avons travaillé sur un modèle théorique et sur des données de compétitions de squash par équipe. Nous avons pu démontrer que les joueurs s’investissent davantage quand ils ont un effet pivotal sur la victoire collective. Je me suis bien amusé avec ce papier et il a reçu un très bon accueil.
 
Pour mes deux premiers papiers, j’ai donc utilisé le sport comme un laboratoire pour répondre à des questions de microéconomie beaucoup plus larges sur la contribution individuelle dans un groupe.
Mon 3ème papier portait sur un tout autre champ : l’économie de l’éducation. J’ai travaillé sur des données liées à l’orientation scolaire en France en fin de 3ème, notamment le choix entre la filière générale et technologique et la filière professionnelle. Il existe une littérature académique très fournie qui montre que les élèves issus de milieux modestes s’orientent davantage vers des filières professionnelles. À travers notre étude, nous souhaitions comprendre pourquoi, à niveau scolaire équivalent, il subsiste des biais sociaux et des disparités dans l’orientation. Peut-on lier ces disparités à des phénomènes d’auto-censure, de choix ? Ou bien l’institution scolaire joue-t-elle un rôle inconscient en poussant moins les élèves issus de milieux modestes vers des filières générales ? En termes d’économie empirique, c’était très intéressant : nous avons pu identifier chacun des effets, en recueillant les intentions des élèves, les retours des conseils de classe, les voeux finaux formulés et le retour définitif de l’institution scolaire. Les résultats ont montré que les élèves issus de milieux défavorisés demandaient beaucoup moins à accéder aux parcours généraux, dans la phase d’intention. L’institution scolaire n’aggravait pas le phénomène mais ne venait pas non plus le rééquilibrer. Il s’agissait donc plus d’un « effet famille et élèves » que d’un « effet institution scolaire ».
 
Quelles sont les compétences que tu as développées et dont tu as eu besoin pour réussir ton doctorat en économie ? 
Elles sont nombreuses ! 
J’ai découvert le côté « craquer un cas » : se poser une question complexe et réfléchir à la manière de l’aborder de la façon la plus rigoureuse et créative possible. 
J’ai aussi appris à faire des revues de littérature, c’est-à-dire synthétiser les principaux papiers en lien avec le sujet que j’aborde. Cela me permet d’être rapidement capable de comprendre ce qui se fait dans le domaine et de ne pas réinventer la roue, en m’appuyant sur des travaux déjà réalisés. Cela m’est très utile aujourd’hui dans mon rôle de consultant. 
Évidemment, cela m’a aussi apporté des compétences techniques, à commencer par le code. J’ai produit des papiers très empiriques avec beaucoup de manipulation de données et de modèles statistiques.
J’ai aussi appris comment structurer mes idées. Rédiger une thèse, c’est raconter une histoire, avec des idées qui se lient bien ensemble et s’enchaînent de façon convaincante. 
J’ai également beaucoup appris sur la présentation orale de mon travail en allant présenter mes travaux dans des séminaires de recherche ou des conférences internationales. 
Enfin, en faisant une thèse, on apprend la résilience. Les progrès ne sont pas du tout linéaires. Parfois, on fait de grandes avancées, grâce à des échanges avec un autre chercheur, par exemple. Et à d’autres moments, on stagne ou on recule. Il faut s’accrocher et rester motivé pendant 3, 4 ou 5 ans.
 
En quoi cela t’aide-t-il dans ton travail actuel ?
Je pense que ce que j’ai appris pendant la thèse est complètement transposable à l’entreprise. J’ai plus appris en 4 ans de thèse que pendant mes années d’études à Sciences Po et à l’X. 
JB VIlain A Soulettie R Aeberhardt Je le vois aujourd’hui : aucune question ne me fait peur. J’aborde les problématiques de mes clients, les questions les plus compliquées, avec cette envie de craquer des cas. Finalement, c’est assez similaire à une thèse, à travers la créativité sur des solutions techniques que l’on va trouver pour répondre à une question et construire progressivement une solution : en discutant avec les clients, en posant des questions, en lisant, en testant des modèles, en abordant les données d’une autre façon… 
Comment la recherche a-t-elle influencé ta carrière professionnelle ? 
Je me suis posé beaucoup de questions : est-ce que je fais de la recherche ou est-ce que je vais travailler dans le privé ? Ce n’était pas évident, j’ai mis longtemps à me décider. 
J’ai finalement décidé de continuer chez Veltys à la fin de ma thèse. Veltys est un cabinet très particulier, avec son ADN de chercheurs. Philippe Février, le fondateur, est un ancien chercheur ; et parmi les associés, nous avons presque tous fait une thèse en économie/économétrie. 
Dans nos missions, notre approche n’est pas aussi fine que dans un papier de recherche mais nous faisons les choses avec un très haut niveau d’exigence, et surtout avec beaucoup de créativité. Avoir fait de la recherche fait donc de moi un bien meilleur consultant aujourd’hui chez Veltys !
 
Si tu devais le refaire, traiterais-tu tes travaux différemment ?
Après coup, il y a certains aspects techniques que je traiterais différemment mais je dis ça à posteriori. Par ailleurs, je n’avais pas saisi à l’époque de ma thèse l’importance de se créer un réseau dans le monde académique. Si c’était à refaire, je « réseauterais » un peu plus.
 
Pourquoi avoir choisi de travailler pour un cabinet de conseil en stratégie et data science plutôt que de poursuivre une carrière universitaire ? 
Je n’ai pas choisi de travailler dans un cabinet de conseil en stratégie, j’ai choisi de travailler chez Veltys !
C’est un beau concours de circonstances. C’était dans la continuité et je le voyais comme une opportunité : ce n’est pas de la recherche mais c’est une entreprise avec une vraie ADN de chercheurs.
 
Quels aspects ne te manquent pas ?
Je trouve que le monde de la recherche n’est pas toujours un univers très sympathique. C’est très hiérarchisé avec beaucoup de compétition entre les chercheurs. 
Le côté solitaire du travail, même si j’avais des coauteurs, ne me manque pas non plus. 
Ce qui me manque, en revanche, c’est d’avoir une journée entière pour réfléchir tranquillement à mon modèle statistique ou économétrique ! 
 
1 J’en profite pour saluer mes coauteurs : Rodrigo Lopez-Kolkovsky, Antoine Chapsal et Laurent Rossignol. 

Jean-Baptiste Vilain
Directeur Practice Sports & Enchères