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Du laboratoire au conseil en stratégie : Romain Aeberhardt

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Dans cette série de portraits, découvrez le parcours de docteurs en économie qui ont fait le pari du conseil pour avoir un impact plus grand. Passés de la recherche à la pratique, ils reviennent sur leurs trajectoires professionnelles et les choix qui les ont menés du laboratoire à l’accompagnement stratégique des COMEX.

Quel est ton parcours académique ?

En 1999, je suis entré à Polytechnique puis j’ai rejoint l’ENSAE (École nationale de la statistique et de l’administration économique) en tant qu’administrateur de l’INSEE (Institut national de la statistique et des études économiques) et je me suis inscrit en parallèle en DEA d’économie avec l’idée de pouvoir poursuivre en thèse.

A l’INSEE, mes travaux se sont concentrés sur le marché du travail et plus particulièrement les questions d’inégalités et de discrimination ainsi que sur les questions d’évaluation des politiques publiques.

J’ai eu la chance de pouvoir bénéficier de l’environnement stimulant du CREST (Centre de Recherche en économie et Statistique) auquel je suis affilié depuis mon premier poste à l’INSEE. J’ai ainsi pu dès le départ concilier travaux académiques et institutionnels et poursuivre en doctorat en parallèle de mes postes à l’INSEE.

Pourquoi t’es-tu orienté vers la recherche ?

A l’origine je m’étais inscrit en master de recherche pour ne pas me fermer de porte. Je n’ai d’ailleurs pas poursuivi les travaux que j’avais démarrés à l’époque et qui étaient trop éloignés des thèmes sur lesquels j’ai été amené à travailler.

La thèse n’était pas une volonté d’enfance. J’avais la certitude que c’était un signal intéressant, notamment sur la scène internationale, mais dans la mesure où je ne me destinais pas à une carrière purement académique, elle ne me semblait pas indispensable.

D’ailleurs, à l’époque, pour quelqu’un qui ne se destinait pas à une carrière académique, ce n’était pas forcément un choix stratégique sur un plan strictement financier. Lors de mon premier poste à l’INSEE, dans le cadre de mes activités sur les salaires, nous participions au traitement des données de l’enquête IESF sur la rémunération des diplômés d’écoles d’ingénieurs. Nous nous occupions de la partie économétrique qui permettait d’expliquer les écarts de salaires en fonction des différences de diplôme, d’expérience, de secteurs, de parcours professionnels, etc. A l’époque nos résultats montraient que faire une thèse apportait une forme de malus sur le salaire. Toutes choses égales par ailleurs, un ingénieur qui avait fait une thèse gagnait en moyenne moins que celui qui n’en faisait pas !

Cette situation est d’ailleurs très différente de ce qu’on observe aux Etats-Unis où le PhD donne accès à un marché plus rémunérateur que celui du niveau Master.

En France il y a 20 ans, un étudiant en doctorat pouvait encore être considéré comme quelqu’un de déconnecté du business qui cherchait encore sa voie ! Heureusement ça change. Le développement des thèses CIFRE et les incitations comme les dispositifs jeunes docteurs du Crédit d’Impôt Recherche vont dans le bon sens.

Sur quels travaux portait ta thèse ?

J’ai fait de l’économétrie théorique et appliquée. J’ai beaucoup travaillé sur les données auxquelles j’avais accès, notamment sur les salaires. C’est à ce moment-là que l’INSEE a commencé à collecter des données sur l’origine nationale des personnes, notamment via l’enquête emploi, ce qui nous a permis, avec mes co-auteurs, d’apporter de nouveaux résultats sur les différences de salaires et d’accès à l’emploi entre les Français de parents Français et ceux dont les parents étaient de nationalité étrangère à la naissance.

Les collègues chercheurs ont largement contribué à ma motivation. Faire de la recherche permettait d’aborder les sujets sous un autre angle et de travailler avec d’autres personnes.

Quelles sont les compétences que tu as développées et dont tu as eu besoin pour réussir ton doctorat en économie ?

Le temps de la thèse est l’occasion de continuer à se former, à la fois par la recherche mais aussi par l’enseignement. Les doctorants ne font pas que de la recherche : ils enseignent et doivent également suivre des cours avancés dont certains très pointus donnés par des chercheurs invités d’autres pays. Cela induit une forme d’obligation de formation continue et d’excellence technique. A la fin de la thèse on a un niveau plus élevé et davantage de recul sur les méthodes et leurs applications qu’à la sortie de l’école.

Les séminaires constituent un gros apport, ceux où l’on présente comme ceux auxquels on assiste. La forme n’est pourtant pas irréprochable car en économie, un séminaire c’est violent, bien plus qu’une relation client. Le travail présenté est systématiquement critiqué et pas toujours de manière constructive… mais on apprend à présenter, à ne pas se démonter et à défendre ses idées.

Si j’avais un reproche sur la recherche, c’est qu’il manque parfois le « so what ? »: comment passe-t-on de l’amélioration des connaissances à des actions concrètes ?

En quoi cela t’aide-t-il dans ton travail actuel ?

Il y a un point très particulier : la manière de penser les liens entre ce qu’on observe dans les données et les mécanismes sous-jacents que l’on peut en déduire. Quand on voit un résultat en économie, le jeu, c’est toujours de questionner l’explication proposée. Est-ce que ce qui est présenté comme un mécanisme structurel est le seul moyen d’expliquer ce qu’on observe ? N’existe-t-il pas une autre histoire qui aboutirait aux mêmes observations ? Cette façon de réfléchir, de se questionner « est-ce que mon interprétation est la bonne ? Y a-t-il d’autres interprétations possibles à intégrer ou à éliminer ? » permet de s’assurer que l’on interprète bien les données.

Veltys conseil en stratégie - Romain AerberhardtCette démarche permet de poser les bonnes questions et parfois de mettre le doigt sur de mauvaises interprétations – ce qui arrive plus souvent qu’on ne le pense. C’est l’essence même de notre métier de consultant et cela nous donne beaucoup de crédibilité.

Un de nos meilleurs exemples, c’est la question de l’optimisation des prix pendant les soldes. Les entreprises ont souvent tendance à sous-estimer l’impact des taux de promotion et donc à baisser les prix de manière trop importante en période de soldes. Leurs intuitions proviennent de ce qu’elles ont observé avec des remises fortes sur des produits qui s’écoulent mal et des remises faibles sur des produits qui se vendent bien. L’échantillon qui en résulte mélange l’effet des promotions avec un effet qualité des produits qui est en général mal pris en compte.

Par ailleurs l’excellence scientifique permet d’acquérir un certain recul sur les aspects techniques et se positionner au bon niveau pour utiliser des méthodes complexes uniquement quand elles sont pertinentes et ne pas faire de la technique pour la technique.

Comment la recherche a-t-elle influencé ta carrière professionnelle ?

Cela apporte sans aucun doute de la crédibilité !

Si tu devais le refaire, traiterais-tu tes travaux différemment ?

Je ne suis pas sûr que j’aborderais les mêmes sujets. Ils m’intéressaient mais leur impact reste finalement assez diffus au-delà de l’amélioration de la connaissance d’un phénomène spécifique. Ces travaux ont tout de même permis de mieux documenter la situation des descendants d’immigrés en France, ce qui est déjà un résultat en soi.

Aujourd’hui, avec une optique plus conseil, j’aurais davantage tendance à travailler sur des thèmes qui permettent de faire évoluer des décisions stratégiques.

Pourquoi avoir choisi de travailler pour un cabinet de conseil en stratégie et data science plutôt que de poursuivre une carrière universitaire ?

Je ne me suis jamais senti attiré par une carrière purement académique. Preuve en est, je faisais de la recherche en parallèle de mon travail à l’INSEE. Je voyais mon parcours plutôt comme une carrière mixte à la fois institutionnelle et académique, à l’instar des carrières hospitalo-universitaires.

J’ai beaucoup travaillé sur les questions de marché du travail, étudié les politiques publiques d’insertion des jeunes à une époque où le chômage était très élevé. Rejoindre un projet entrepreneurial m’a finalement paru avoir plus de sens pour participer à la dynamique économique. Par ailleurs j’étais persuadé que les méthodes que j’avais utilisées, notamment en évaluation d’impact de politiques publiques pourraient trouver une déclinaison naturellement créatrice de valeur pour des entreprises en particulier sur des sujets de pricing ou de marketing quantitatif.

Quels aspects ne te manquent pas ?

Le process de publication !!! En économie pour publier un papier, il peut falloir entre 5 et 10 ans !

C’est un univers extrêmement compétitif et les axes sur lesquels se joue la compétition ne me semblent pas tous pertinents.

Ce qui me fait sourire : mon document le plus téléchargé reste la Cheat sheet SAS/IML que j’avais rédigée pour mes élèves…

L’utilité de ce qu’on produit n’est pas toujours celle que l’on croit !

Romain Aeberhardt
Directeur Banque & Assurance