Taxer pour protéger ? Le pari risqué des États-Unis sur l’économie mondiale
Le retour des barrières
Dès son investiture le 20 janvier 2025, Donald Trump a relancé la politique commerciale protectionniste qui avait marqué son premier mandat. Cette politique s’est traduite par l’instauration, via un executive order daté du 2 avril 2025, de droits de douane additionnels de 20 % sur les importations en provenance de l’Union européenne. D’autres partenaires commerciaux (Chine, Vietnam) devaient connaître des hausses plus fortes.
Dans l’immédiat, ces droits s’appliquent à hauteur de 10 %, un moratoire de 90 jours ayant été accordé à la majorité des pays concernés — à l’exception notable de la Chine, visée par des hausses tarifaires allant jusqu’à 125 %, et qui a immédiatement riposté en imposant à son tour des droits de 84 % sur les produits américains. Certains secteurs (automobile, acier, aluminium) connaissent des droits de douane supérieurs.
Les ambitions derrière ces taxes douanières
L’administration Trump justifie cette politique par trois objectifs économiques principaux :
- Protéger l’industrie domestique contre la concurrence étrangère ;
- Réduire le déficit commercial américain en limitant les importations ;
- Réindustrialiser l’économie afin de recréer des emplois manufacturiers.
Cette stratégie repose d’abord sur une vision mercantiliste[1] : les droits de douane seraient assimilés à une taxe payée par les exportateurs étrangers, sans impact significatif pour les consommateurs américains. L’administration considère également que les représailles commerciales infligées par d’autres pays seraient limitées et pourraient même renforcer sa position lors de négociations bilatérales.
Pourtant, les analyses empiriques montrent un « pass-through » quasi-complet[2] des droits de douane aux prix des biens importés. Cela signifie que les droits de douane sont en grande majorité supportés par les consommateurs du pays importateur. Cela s’explique par un mécanisme bien documenté : les exportateurs étrangers maintiennent généralement leurs prix départ usine pour préserver leurs marges ; les droits de douane sont alors intégralement répercutés sur les prix d’importation ; enfin, cette hausse se diffuse à l’ensemble de la chaîne de valeur domestique, jusqu’au consommateur final.
Ce que nous a appris l’histoire récente
Une répercussion sur le consommateur, c’est précisément ce qui avait été observé lors du premier mandat de Donald Trump. Selon une étude[3], les droits de douane ont augmenté le prix moyen de biens manufacturés aux Etats-Unis de 1 ppt. Non seulement les hausses tarifaires n’ont pas permis de relancer durablement l’emploi industriel, mais elles ont également conduit à une augmentation moyenne des prix des biens manufacturés d’environ 1ppt. Le coût global de ces mesures a été estimé à 51 milliards de dollars en perte de pouvoir d’achat pour les ménages américains – soit 0,27 % du PIB américain[4].
Du point de vue commercial, la politique douanière américaine a eu des effets ambigus. Si les importations ont légèrement reculé entre 2018 et 2020, elles ont par la suite repris une tendance haussière. La part des exportations chinoises dans les importations américaines a certes diminué, passant de 21,5 % à 13,4 %, mais les flux ont simplement été redirigés vers d’autres partenaires comme l’Inde, le Mexique ou le Vietnam. Ainsi, la politique protectionniste n’a pas permis d’améliorer la balance commerciale des États-Unis, mais a seulement modifié la géographie de leurs importations.
Les perspectives de marché anticipables
Le Centre d’Études Prospectives et d’Informations Internationales (CEPII) a utilisé son modèle d’équilibre général[5], à la suite de la candidature de Trump en 2024, pour évaluer les effets macroéconomiques des hausses tarifaires annoncées.
En supposant l’absence de représailles, une augmentation des droits de douane de 10 points pour l’Union européenne et de 60 points pour la Chine, les résultats indiquent une baisse de 0,5 % du PIB mondial, une contraction du commerce international en volume de 3,3 %, et une légère diminution des émissions de CO₂ liée à la réduction des échanges.
Les principales économies touchées seraient les États-Unis (-1,3 % du PIB et – 15 % des exportations) et la Chine ( -1,1 % du PIB et – 8% des exportations), tant sur le plan commercial que sur celui de la croissance, mais l’Europe subirait également des effets plus faibles– environ -0,3 % de PIB et -0,3 % des exportations.
Face à ces mesures, plusieurs partenaires commerciaux — notamment la Chine et potentiellement l’Union européenne — ont mis en place des mesures de représailles. Celles-ci sont certes coûteuses pour les pays qui les mettent en œuvre, mais elles ont pour objectif d’envoyer un signal politique clair au partenaire fautif. Dans le cas de l’Union européenne, une réponse ferme pourrait renforcer sa crédibilité internationale et pousser les États-Unis à adopter une position plus coopérative.
Les modèles économiques suggèrent que les représailles accentuent sensiblement les pertes pour les États-Unis, avec une baisse de PIB de 1,3 % contre 0,7 % en l’absence de riposte. Dans cette optique, les mesures de rétorsion peuvent jouer un rôle stratégique en renforçant les incitations à la désescalade.
Quelle réaction européenne ?
Pour l’Union européenne, les conséquences d’un durcissement prolongé seraient multiples. La baisse des exportations vers les États-Unis toucherait plusieurs filières clés telles que l’aéronautique, l’automobile, l’acier et l’agroalimentaire. Les chaînes de valeur transatlantiques, étroitement intégrées, risqueraient en outre d’être perturbées, affectant directement la compétitivité des entreprises européennes les plus exposées.
Au-delà de ces enjeux économiques, une détérioration durable des relations commerciales avec les États-Unis compromettrait le climat de confiance entre alliés historiques et affaiblirait la coordination occidentale dans un contexte géopolitique déjà sous tension.
C’est pourquoi l’Union Européenne privilégie pour l’heure la voie diplomatique, en suspendant temporairement toute mesure de rétorsion. Si les négociations n’aboutissent pas à un compromis satisfaisant, l’Union se réserve toutefois le droit d’activer des contre-mesures proportionnées. La construction d’un nouvel équilibre commercial passera alors nécessairement par une redéfinition des règles du jeu multilatéral et par la réaffirmation d’un cadre coopératif plus stable.
Quelles options pour les exportateurs européens ?
Il existe différentes façons de réagir commercialement face à ces taxes. Répercuter tout ou partie du prix sur les produits en est une. Elle peut avoir un impact modéré à nul lorsque l’élasticité-prix est faible, c’est-à-dire que les ventes ne se construisent pas sur un argument prix, comme c’est le cas pour les marques de luxe dont le branding fait l’attractivité. À l’inverse, sur des produits textiles plus accessibles, les conséquences seront directes. La réflexion peut être d’abaisser la marge (pour une marque comme Lacoste) ou d’assumer sa dégradation à deux, avec le duo distributeur / marque (comme cela pourrait être le cas d’un Décathlon qui ne dispose plus de point de vente en nom propre). Par ailleurs, les acteurs purement américains vont être incités à augmenter le prix, ce qui diminuera la pression pour les acteurs européens à absorber via leur marge.
Enfin, la soudaineté et l’incertitude de ces actions de taxation ne vont pas mener immédiatement à des réflexions de relocalisation de la production aux US. Les droits de douane inciteront peut-être à ne plus considérer les US comme un marché prioritaire.
Il faudra en revanche bien se garder de mettre en place des contournements climaticides. Produire au Vietnam, où une taxe douanière de 46% a été évoquée, pour transporter vers un pays européen au prétexte d’accessoiriser le produit ou de parfaire le conditionnement, afin d’expédier vers les US depuis un pays moins taxé ( 20%), constituerait une catastrophe en termes d’empreinte carbone en plus d’un non-sens complet.
Sources :