De l’économie publique au conseil en stratégie : Arthur Souletie
Veltys Advisory SantéQuel est ton parcours académique ?
Après le bac, j’ai suivi une classe préparatoire « lettres et sciences sociales ». Si j’ai apprécié l’aspect littéraire, ce que j’ai préféré, c’est la dimension sciences économiques et sociologie. Je suis ensuite entré à l’ENS de Cachan, dans le département de sciences sociales où je me suis spécialisé en économie. J’ai terminé ma formation à l’École d’Économie de Paris et à l’ENSAE (plus technique, moins orienté recherche) dont je suis sorti en 2013.
Pourquoi t’es-tu orienté vers une thèse ?
La particularité d’une thèse en économie, c’est de pouvoir donner accès à d’autres métiers qu’enseignant-chercheur. C’est une approche qui permet de s’initier à la recherche sans en faire sa vie. Même si j’aime beaucoup discuter avec des chercheurs ou lire des papiers, je savais dès le début que ce ne serait pas mon orientation, car j’avais besoin de l’aspect appliqué, construction de politiques publiques. Je suis entré à la Direction Générale du Trésor juste après ma formation, tout en faisant ma thèse.
Sur quels travaux portait ta thèse ?
J’ai travaillé sur les effets économiques et sociaux avec deux grands axes :
- Comprendre les effets du surpoids sur un certain nombre d’aspects de la vie (le salaire, l’emploi, le bonheur, etc.) ;
- Comprendre les effets de norme autour du poids.
Il y a deux faits majeurs autour de l’obésité :
- Presque tous les pays voient le poids de leur population augmenter, et cela depuis trente ou quarante ans. Quand on regarde des photos des années 50 ou 60 dans la rue, on observe deux points : les gens sont mieux habillés et ils sont plus minces.
- Cette augmentation de poids touche relativement plus les personnes défavorisées, en tout cas dans les pays occidentaux.
Même si on a des explications (les métiers sont moins physiques, les personnes plus sédentaires, les aliments plus caloriques sont moins chers, l’alimentation est plus transformée), on n’arrive pas à complètement expliquer ces deux aspects. Toutes ces évolutions se sont produites il y a déjà 30/40 ans et pourtant le surpoids continue de se développer, pourquoi ?
C’est là qu’intervient la question des normes. Ce n’est pas la même chose d’être en surpoids dans une société où le nombre de personnes en surpoids est faible et dans une société où il est fort. Ces changements de norme peuvent expliquer que les effets perdurent, alors que les différents chocs se sont produits il y a plusieurs dizaines d’années. C’est sur cette dimension sociologique que j’ai travaillé. La notion de satisfaction d’essayer de mesurer ces effets de norme : est-ce que le surpoids est un frein au bonheur ? Qu’est-ce que représente le fait d’être gros au Japon ? ou aux États-Unis ?
Quelles sont les compétences que tu as développées ?
J’ai fait une thèse avec un gros volume de données et de nature très différentes. Ça nécessitait de bien les organiser et structurer. Je travaillais en parallèle donc le tri et le classement des données et du code étaient essentiels pour pouvoir m’y replonger un ou deux mois plus tard.
Cela apprend aussi à lire beaucoup des papiers de recherche, y compris des travaux d’autres disciplines (en sociologie ou en histoire dans l’analyse).
Par ailleurs, il y avait également un fort enjeu technique. Le problème de la corpulence, c’est qu’il y a beaucoup d’effets croisés : est-ce que les personnes les plus pauvres sont plus corpulentes ou est-ce que le fait d’être corpulent diminue les revenus (par exemple du fait de la discrimination). On sait que cela va dans les deux sens, et on se retrouve avec ce qu’on nomme en économétrie un problème d’endogénéité. Il faut utiliser des techniques avancées pour le traiter.
Trois éléments avec lesquels je me suis construit : la persévérance, un grand volume de lecture et de la précision. C’est un apprentissage très concret !
En quoi cela t’aide-t-il dans ton rôle actuel ?
Cela m’aide pour la dimension méthodologique. Certains modèles que nous utilisons aujourd’hui sont des modèles que j’ai déjà abordés en thèse, ce qui permet de guider les équipes dans leur application.
La capacité à lire vite les papiers. Dans le conseil c’est très utile de savoir absorber un grand nombre d’informations, de faire le tri et de hiérarchiser ces infos.
Il y a aussi des éléments à désapprendre car le métier de conseil n’attend pas de nous de détailler à quel point le modèle est bien fait, mais à quel point le résultat est utile. Il faut apprendre à passer de l’un à l’autre.
Comment cela a-t-il influencé ta carrière professionnelle ?
J’ai toujours travaillé à côté. La thèse n’a jamais été mon temps principal et le sujet de mon activité professionnelle ne relevait pas du même thème.
Néanmoins, cela a bien sûr affecté ma façon de fonctionner. Par exemple, je m’appuie toujours beaucoup sur les revues de littérature. Quand j’arrive sur un nouveau sujet, je me mets à lire les derniers papiers de recherche pour m’informer. Cela permet de rentrer de manière différente dans un sujet. Je continue même de le faire pour les sujets sur lesquels je tiens à être à jour !
Si tu devais le refaire, traiterais-tu tes travaux différemment ?
C’est compliqué. À l’époque, je connaissais moins les méthodes de Machine Learning pour traiter un grand volume de données. Il y a des éléments de données que je traiterais différemment aujourd’hui même si sur l’approche générale, je la jouerais de la même façon.
La grande différence, c’est plus la facilité d’accès aux données qu’un changement de philosophie sur les méthodes.
En effet, on a aujourd’hui accès à un volume et à des types de données beaucoup plus vastes (par exemple les données génomiques, les objets connectés, etc.). Cela permet de se poser de nouvelles questions. Et c’est une problématique qu’on retrouve chez nos clients : comment faire pour traiter toutes ces données de nature différente, mais qui sont extrêmement utiles, pour produire de la connaissance et de la valeur.
Pourquoi avoir choisi de travailler pour un cabinet de conseil en stratégie plutôt que de poursuivre une carrière publique ?
Après 5 ans à la Direction Générale du Trésor, je me suis rendu compte que le conseil en stratégie se rapprochait le plus de ce que je voulais faire. Veltys me permettait de continuer à travailler autour de la donnée, en élargissant mes perspectives en termes de sujets ou de méthodes. En particulier, toutes les transformations autour de la donnée, c’est depuis un cabinet de conseil en stratégie que l’on voit le mieux comment ça se profile.
Quand je suis arrivé chez Veltys, j’ai travaillé essentiellement sur un de nos clients historiques, autour de la dimension du pricing des espaces publicitaires numériques, la construction d’algorithmes pour comptabiliser les audiences et définir leurs profils.
Ensuite sont venus les sujets de la santé : les problématiques de recouvrement, les évaluations des dispositifs du Ministère de la Santé, l’évaluation de la fraude pour la CNAM. J’ai également travaillé pour l’Agence internationale de l’énergie (évaluation des données et conception de nouvelles méthodes). Dernièrement, c’est la mise en place d’une plateforme d’échange de crédits carbone sur la base de projets agricoles qui m’occupe. Plutôt variés comme sujets !
Quels aspects ne te manquent pas ?
Je n’étais pas un grand fan des séminaires, j’y suis peu allé.
S’investir dans l’amélioration des modèles, c’est sans fin. Ce que j’aime dans le conseil : il y a un point final. On ne pousse pas les explorations jusqu’à avoir épuisé tous les modèles. Le résultat compte davantage que le moyen.