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Dans l’aéro, la guerre des plateformes numériques est déclarée

Veltys Advisory Transport Logistique
Optimisation de la gestion des flottes, maintenance prédictive, conception de nouveaux programmes… Les plateformes qui exploitent les données numériques se sont multipliées dans le secteur aéronautique. Un relais de croissance devenu incontournable qui nécessite d’élaborer pour chaque acteur une stratégie élaborée afin de garder son indépendance.

L’exploitation de données « massives » a bouleversé de nombreux pans de l’économie : commerce, médias, transports…. En proposant de nouveaux outils performants d’optimisation et de productivité, les plateformes chamboulent les structures préexistantes de marché : apparition d’acteurs et d’offres, développement de nouveaux modèles économiques et opérationnels. Dans certains cas, ces bouleversements conduisent à des phénomènes de « disruption », lorsque les leaders établis d’un secteur sont dans l’incapacité de percevoir et de répondre aux changements profonds de leur marché.

L’inéluctable développement des plateformes dans l’aéronautique

Le secteur de l’aéronautique ne fait pas exception. L’exploitation des données ouvre de nombreuses perspectives. Des applications permettent déjà aux compagnies aériennes d’optimiser la gestion de leurs flottes, et à terme, celle de leurs cycles de maintenance. Les avionneurs et équipementiers commencent à utiliser les datas pour faciliter et accélérer la conception de nouveaux programmes, systèmes et équipements.

Les MRO (Maintenance, Repair & Operations) développent des solutions analytiques pour optimiser leurs opérations de maintenance, améliorer la détection de panne, et proposer de nouveaux services. L’exploitation des données pourrait permettre de réduire une part significative des inefficacités de la filière : en conception, en production et en exploitation. À titre d’exemple, les interruptions opérationnelles de vol représentent un coût annuel de 60 Md$, qu’une meilleure anticipation des incidents permettrait de réduire.

En être sans se compromettre

Pour concrétiser ces opportunités, en particulier la maintenance prédictive, il est nécessaire d’accéder à des volumes et variétés de données conséquents : plans de conception, données de production, données de vol ou encore données de maintenance et de réparation. Or, jusqu’à présent, ces données étaient partiellement captées, et réparties entre une multitude d’acteurs, rendant complexe leur exploitation. C’est pourquoi les plateformes de données aéronautiques (Skywise et Aviatar par exemple) ont émergé depuis deux ans.

Ces nouveaux acteurs captent et agrègent de très nombreuses données issues de sources et de propriétaires différents et permettent aux compagnies aériennes un accès simplifié à l’ensemble de leurs données. Leur partage au sein de l’écosystème aéronautique permet d’élaborer des services analytiques à forte valeur ajoutée pour les Airlines. Elles offrent ainsi des perspectives attractives et vont rapidement devenir incontournables.

Si la proposition de valeur est claire, les plateformes méritent toutefois une réflexion stratégique approfondie pour qui voudrait les rejoindre. Tout d’abord parce qu’elles ont pour vocation d’organiser le marché du partage de données et des services entre tous les acteurs du monde aéronautique et exposent dès lors leurs participants à des risques d’intermédiation et de dépendance élevés. Une intermédiation quel que soit le secteur représente en moyenne un revenu entre 20 et 30 % pour les opérateurs des plateformes sur les produits et services commercialisés et une perte équivalente pour les opérateurs historiques.

Par ailleurs, les ambitions stratégiques des propriétaires des plateformes peuvent jouer au détriment de leurs participants. Ils pourraient tirer parti des données et algorithmes partagés pour construire et commercialiser leurs propres services à haute valeur ajoutée.

Un défi pour les plateformes : répartir la valeur

Bien que ces plateformes puissent être sources de risques stratégiques pour leurs acteurs, elles deviennent incontournables. Tout d’abord parce qu’il est par exemple difficile pour un équipementier de refuser de participer à une plateforme détenue par un avionneur : il s’expose en effet à un risque de non-sélection de ses produits. Mais surtout parce que les plateformes résolvent une friction majeure du marché : l’accès aux données. Tout acteur qui n’y participerait pas serait en situation de désavantage concurrentiel majeur.

L’enjeu reste cependant de partager la valeur de manière équitable. Les mécanismes économiques des plateformes conduisent à la consolidation et à des situations de quasi-monopole. Seule survivra la plateforme ayant réussi à agréger le plus d’acteurs, le plus rapidement. Seuls les participants ayant réussi à protéger leurs intérêts stratégiques en tireront parti.

Pour les équipementiers et MRO, il s’agira de ne pas donner accès à leurs données stratégiques, de garder le contrôle de la propriété intellectuelle des algorithmes, et de choisir la plateforme qui résoudra le mieux la friction du marché, c’est-à-dire, celle qui offrira la meilleure expérience aux compagnies aériennes. Ce sont des conditions nécessaires pour continuer à croître et à se développer en toute indépendance.

Tribune publiée le 21/07/2019 dans l’Usine Nouvelle